Tout était normal dans les sous-sols de manoirs Spencer. Les laborantins disséquaient joyeusement, étrangement les cobayes se faisaient moins joyeusement injecter des virus bizarroïdes dans le sang, les éminences écrivaient des thèses incompréhensibles aux yeux du commun des mortels… Tout était normal, donc. A l’exception que l’on était un 12 mars.
Annette avait confié un peu d’argent et une « mission » à Wesker : ramener un clafoutis pour l’anniversaire de William. Elle savait qu’il en pinçait pour ce gâteau aux cerises très sucré. Et Wesker était souvent amené à s’absenter donc… En l’envoyant à la boulangerie, Annette savait que personne ne ferait attention à son absence.

Il en revint. Avec une misérable part de clafoutis de 4 cm sur 10.
La jeune femme hésita à se frapper la tête contre le mur le plus proche, ou contre Wesker carrément. Mais quel blond ! Bon, ceci sera la part de William… C’était déjà ça.

Un peu plus tard dans la matinée, alors que le grand blond faisait remarquer à sa collègue une erreur dans son protocole expérimental, deux yeux bleus glacés fusillèrent du regard Wesker. Son corps aurait été froidement criblé de balles si ces prunelles avaient été des armes à feu.

- Wesker… Quand on confond un clafoutis et une part de clafoutis… On vient pas la ramener !!!

Quand Annette avait un peu de temps entre les exigences scientifiques de son mari et celles de ses virus, elle pensait à sa fille. Sa petite Sherry. Alors, elle remontait à la surface. Et allait voir comment elle allait, afin de se convaincre intérieurement qu’elle n’avait pas besoin de sa mère, afin de cesser de culpabiliser qu’elle était une mauvaise mère.
Et pourtant, qu’elle chérissait sa fille… !
Quelques minutes, elle la regarda en silence, à travers les vitres de la maison. Elle faisait ses devoirs. Sa nourrice lui apportait un goûter. Si ce n’était ce regard triste et las, on aurait pu la prendre pour une gamine normale, dans un foyer normal.
Mais non. Elle était issu d’un génie au quotient émotionnel d’un enfant, qui ne vivait que pour et par ses expériences, brisé si jeune par la cruelle annonce de s’être fait une seule fois dépasser… Et elle était issue d’une femme vivant aussi pour la science, qui a fait le choix de vivre avec la folie de l’homme qu’elle aimait, abandonnant leur fille à son sort…
Qui savait si cette femme, moi-même, était encore véritablement saine d’esprit ?
Annette frôla la vitre de ses doigts pâles de n’avoir pas vu la lumière du soleil depuis des mois.

- Existe-t-il une folie génétique propre à l'espèce humaine ?

Ce n’avait été qu’un murmure. Mais déjà, elle était repartie. Pour ne pas pleurer. Rassurée que sa fille aille bien sans elle. Et intérieurement brûlée à vif par le fait que justement, elle allait bien, sans elle.
Moi aussi j’ai basculé dans la folie, je crois…

Cela faisaient quelques heures ce jour là qu’ils ouvraient les cadavres de leurs cobayes afin d’en extraire des tissus et de les analyser au microscope pour voir si effectivement, au niveau cellulaire, il y avait eu recombinaison de l’ADN, donc mutation. Et la cause directe de la mutation serait un réarrangement des cellules, ou même d’autres réactions, Dame Nature était encore si aléatoire… !

Chaque observation ou absence d’observation était pieusement consignée sur papier. Chaque cobaye était étudié, qu’il soit animal ou même…humain. Au bout d’un certain temps, machinalement, Wesker tendait la main pour qu’Annette, entre deux observations, lui passe une lame de scalpel neuve. Ces choses là s’érodaient vite à force de couper des tissus. Mais là… Sa main demeurait vide.

- …Nous n’avons plus de lames. Je crois qu’il faudrait repasser commande chez le gestionnaire : toutes nos boîtes sont vides.

La scientifique agita la boîte vide bien en évidence, devant le regard ennuyé des deux autres. Oui, elle était vide, elle ne disait pas ça pour que les deux blonds fassent une pose forcée !
Wesker soupira.

- On est tous pleins de vides. Ce sont les vides qui prennent le plus de place dans nos existences.

Annette haussa un sourcil, visiblement interloquée. Elle regarda son époux qui n’avait pas l’air d’avoir réellement écouté la réplique de son collègue, occupé à utiliser ce temps d’inactivité à dénicher où la boîte de sucre était planquée.
Wesker était VRAIMENT un homme étrange, pensa t-elle.

Je ne les vois plus, ma vision se brouille mais… Je peux encore les entendre, entendre leurs voix qui me narguent alors que je baigne dans mon sang et les éclats de verre. Ils doivent profiter que je sois à terre pour me regarder de haut, avec mépris. Qu’ils aillent au diable ! Qui a fait d’eux ce qu’ils sont !? Qui a entraîné Wesker et fait de lui le surhomme qu’il est ? Qui a repéré, recruté et donné son heure de gloire à Birkin ? Moi et moi seul ! Ils devraient être à genoux devant moi, me traiter avec le respect que l’on doit à un père ! Ce sont mes garçons, je les ai façonnés de ma main… ! Mes enfants, mes garçons, la chair de mes neurones ! ILS ME DOIVENT TOUT !
Si je survis… Je les traquerai et les ferai payer. Tôt ou tard ils paieront. Ils paieront tous, autant qu’ils sont. Je ferai payer Umbrella le prix fort. Comme un père qui corrigerait ses enfants. Et là, ils me supplieront. Mais point de clémence pour ceux qui auront levé la main sur moi. Oui… Je survivrai.